Dans les rues de San-Francisco, pas un chat n'était présent. La nuit était plus que là, jetant sur le monde un voile sombre, ténébreux, inquiétant. La lune est haut dans le ciel, cherchant de sa faible lumière à éclairer ce que le soleil ne fait plus à ces heures-ci, souhaitant aider les personnes à retrouver leur chemin, poser sur eux une douce lumière réconfortante, si bienveillante, et pourtant si inutile pour certains. Dans une certaine rue de cette ville, où chaque habitant devrait dormir, il y en avait un qui sortait du lot, bien que ce ne soit pas de son propre chef. La fenêtre était face à son lit, et provoquait à l'intérieur de la chambre à coucher une atmosphère étrange de par la lumière qui y passait. Des draps se soulevaient à intervalles irréguliers, une silhouette s'y dessinait, sans être réellement perceptible, chacun de ses mouvements se faisaient avec empressement, presque acharnement, et les sons que la silhouette produisaient dégageaient une peur incommensurable, de la haine aussi, mais surtout de la tristesse. Un chagrin intarissable, dont le seul coupable n'était autre que lui-même. Et d'un seul coup, la silhouette se redressa dans son lit, et fut éclairé par les faibles rayons de la lune, prouvant que c'était le beau milieu de la nuit. L'homme était essoufflé comme s'il venait de courir un marathon, des sueurs froides recouvraient son dos ainsi que ses tempes, tel un homme effrayé par la vue d'une chose épouvantable, une chose à laquelle il ne pouvait échapper, tout comme à la mort.
D'un bond, l'homme laissa le lit vide de présence et se hâta dans une pièce adjacente, manquant à peine de tomber lourdement sur son parquet ou de rentrer dans un mur. Une fois entré dans ce qui semblait être sa salle de bain, il posa ses mains tremblantes sur le lavabo, et leva ses yeux entourés de cernes énormes vers son reflet dans la vitre sale. A peine eut-il détaillé la forme de son visage, étudié la couleur de ses yeux, qu'il eut un recul et faillit tomber dans la baignoire mais se reprit à temps pour ne faire que s'asseoir sur le bord de celle-ci. Tout haletant, il se prit la tête entre les mains, secouant cette dernière, cherchant un moyen de se réveiller, sortir de là, de ce qu'il semblerait penser être un cauchemar, et pourtant, il venait tout juste de le quitter, au moment même où il s'était relevé en sursaut sur son lit, seul, comme chaque jour de son existence. Avait-il déjà eut de la compagnie ? Il peinait à s'en souvenir. Et sa famille ? Partie aux oubliettes. La seule chose dont il était certain à cet instant, c'était de son nom, si risible qu'il était. Innocencio, Innocencio Flame plus exactement. De là avait résulté son surnom : Incy. Le diminutif d'Innocencio. Au moins cela il le savait. Mais tellement de choses avaient disparu de sa mémoire, son enfance aurait dû être un lointain souvenir, seulement, il l'avait totalement oublié.
Cette pensée le traversant, Incy se redressa aussi droit qu'un piquet avant de partir en flèche dans une autre pièce encore. Il n'était pourtant que trois heures du matin, et cet homme courait déjà dans tous les sens. Qui sait ce que cela allait donner à dix-huit heures. Lorsqu'il atteint la salle désirée, il se mit à fouiller un peu partout, avant de tomber sur l'objet de ses recherches. L'attrapant à deux mains, il s'installa sur son bon canapé de cuir et ouvrit délicatement le gros livre posé sur ses genoux. Déjà, son rythme cardiaque était revenu à la normal, son corps n'était plus sous l'emprise d'affreux tremblements, et les sueurs froides avaient cessé. Parcourant les pages les unes après les autres, son regard auparavant d'un profond gris se changea en un soleil brillant de mille feux. Incy n'avait besoin que de cet album photo pour faire disparaitre les fantômes qui l'hantaient chaque nuit, l'empêchant ainsi de dormir convenablement. Soudain, plus aucune page ne fit tourner. Un blocage s'était produit sur celle qu'il fixait actuellement avec tant d'insistance. La raison était simple : la vision qu'il avait eut cette nuit-là provenait de cette photo, ou plus précisément de ce qu'il s'était passé le jour où la photo avait été prise. Son onzième anniversaire. Leur onzième anniversaire.
Sur la photographie, on voyait deux petits garçons se tenant la main, debout devant un gâteau bien garnie où onze bougies attendaient d'être soufflées. Le plus étonnant était la ressemblance entre les deux enfants. C'était bel et bien des jumeaux, avec une complicité exceptionnelle, sûrement comme tout jumeaux qui se respectent. Mais aujourd'hui, il n'y en avait plus qu'un avec ce visage, ce regard, cette voix. L'autre était... parti. Avait abandonné sa moitié. S'était lassé de la vie. S'était laissé piéger par son péché si mortel. Avait rendu l'âme. Avait été lâche. S'était suicidé, sous les yeux de son double qui n'en connaissait pas la raison. Depuis ce jour funeste, le pouvoir qui n'avait rien d'un don, d'Incy s'éveilla. La première personne qui en paya les frais fut lui-même. S'il n'avait plus d'image de cette personne, ou son propre reflet suffirait, eh bien en ce jour de l'année 2013, il n'aurait plus le moindre souvenir de cet être qui lui ressemblait tant, mais qui avait disparu, sans en annoncer la raison. Chaque nuit, des images lui reviennent, et parfois plus que de simples images figées dans le temps, il arrive qu'il revit certain moment de sa vie, et cela sans voir jamais son double. Il se voyait lui, tendant la main, à moitié ouverte, comme si quelque chose la retenait ainsi, et pourtant il n'y avait rien à ses côtés, qu'une partie des bougies n'étaient soufflées, et une partie de lui avait disparu en même temps, c'était peu de dire qu'il commençait à perdre les pédales.
Levant ses yeux mouillés au souvenir du cadavre de son double, de cette ressemblance si frappante, si sinistre car il se voyait lui-même mort, il posa son regard sur ce qui avait fait sa vie, lui avait empêché de sombrer dans la folie. L'objet qu'il tenait dans ses mains fut repoussé, avec toute la délicatesse du monde, et Incy se leva, se dirigea vers le point qu'il observait, pour en prendre un appareil photo, l'un des plus grands modèles, chose qui lui servait énormément. Autant pour sa propre personne que dans le monde des grands, sa vie active n'était faite que de ça. La photographie était son domaine, la seule chose qui réussissait à le garder à flot. Gardant l'objet dans une main, l'autre prit autre chose, un papier plus exactement, sur lequel était inscrit différentes indications et surtout, le plus important, la destination de ce billet d'avion : Deadly Sins. Tous les péchés s'y retrouvaient en parfaite harmonie, vivaient une vie des plus normale, et avait des lieux fascinants, même les personnes y habitant avaient de quoi occupé l'esprit d'un photographe professionnel en quête de nouveau sujet à étudier, tel un scientifique en laboratoire. Bien, il était temps pour lui de faire ses valises, une vie nouvelle l'attendait à la sortie de l'aéroport de Deadly Sins, et il doutait bien qu'il ne réussirait pas à se rendormir. Plus maintenant. Autant que le reste de sa nuit serve à quelque chose..